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Une saison avec Raphaël, transhumant sur l'Aigoual

 

Raphaël a passé l'été sur l'Aigoual avec ses 600 brebis. Nous l'avons rencontré pour faire le bilan de la saison en estive. 

 

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Raphaël sur la voie de découverte de l'Aigoual (ancienne D269) © Adrien Majourel - Parc national des Cévennes

 

Rendez-vous est pris ce mardi 29 août au sommet de l'Aigoual "autour de l'observatoire" avec Elsa et Pascal, les deux saisonniers du Parc qui étaient affectés au massif de l'Aigoual pour sensibiliser les visiteurs aux bons gestes à adopter dans un espace protégé, notamment en présence de troupeaux sur les estives.

Raphaël ne peut pas nous donner un endroit précis, cela dépendra du bon vouloir de ses brebis, du meilleur endroit à pâturer et des conditions météos. Et ce jour là, elles sont, comme souvent, extrêmes. Alors que le sommet avait fait la une des journaux nationaux la semaine précédente avec un record de 30°C, il fait 7°C en milieu de matinée avec un vent à décorner les boeufs.

Par chance, nous croisons Raphaël alors qu'il se dirige à la pierre plantée, juste en dessous de l'observatoire.

 

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Raphaël, Elsa et Pascal ont été en contact régulier durant toute la saison © Adrien Majourel - Parc national des Cévennes

 

Raphaël a 25 ans. il est originaire de Mandagout, au-dessus du Vigan, et habite dans le Tarn où il élève chèvres et brebis laitières pour le fromage. Cette ferme, où il vient de démarrer cette activité avec sa compagne, il souhaite également en faire un lieu de vie avec des évènements culturels, des concerts et des débats car "c'est important de créer du lien et des échanges."

 

Des relations avec les visiteurs pas toujours simples

Parmi les défis de l'été, Raphaël cite en premier les relations avec les visiteurs. Ses brebis ont passé l'été entre Aire de côte, le Trépalou, la Dauphine, Prat Peyrot, la Serreyrède, Font froide et le sommet de l'Aigoual. Des endroits connus pour leur importante fréquentation lors de la saison estivale.

"Jusqu'au 15 juillet, je n'ai pratiquement eu aucun problème car ce sont pour la plupart des randonneurs habitués, qui connaissent bien les lieux ou qui sont habitués à évoluer dans des environnements agro-pastoraux" nous confie-t-il.

"En revanche entre le 15 juillet et le 20 août c'était beaucoup plus compliqué. D'une part car la fréquentation était beaucoup plus importante mais aussi car les publics sont très différents avec des gens qui ne savent pas ce qu'est un patou ou qui n'ont aucune idée de comment se comporter à proximité d'un troupeau."

 

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L'Observatoire du Mont Aigoual est devenu en 2023 le Climatographe​ qui vise à sensibiliser les visiteurs au changement climatique. © Adrien Majourel - Parc national des Cévennes

 

"Même si la plupart des visiteurs étaient respectueux, j'ai eu plusieurs types de rencontres compliquées à gérer. Il y a ceux qui me disaient qu'ils avaient payé leur camping, qui estimaient avoir acheté le package "Cévennes / berger / brebis" et qu'ils avaient donc le droit de faire ce qu'ils voulaient. Comme par exemple prendre des selfies avec mes brebis ou avec moi sans même me dire bonjour."

Certaines personnes ont eu également des comportements irrespectueux ou inadaptés. "Une fois, une famille est sortie d'un bois en courant. Les enfants se sont précipités sur les brebis en criant ce qui a scindé le troupeau en deux. J'avais 300 brebis à Aire de Côte et 300 à l'observatoire de l'Aigoual, à 2h de marche..."

 

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Au sommet de l'Aigoual, la mer derrière le Pic saint loup © Adrien Majourel - Parc national des Cévennes

 

Pour d'autres, même si la curiosité part d'une bonne intention et qu'elle est souvent bienveillante, cela devient très vite difficile à gérer lorsque l'afflux de randonneurs devient trop important : "beaucoup de gens ont une vision idéalisée du berger : un poète prêt à disserter sur la culture locale et ses bêtes, la paille dans la bouche. Ils ne comprennent pas que je suis en train de faire mon travail, que je dois avoir l'oeil sur tout ce qui se passe et qu'il faut pouvoir réagir très vite.

C'est agréable de parler de temps en temps de mon activité mais quand c'est la vingtième fois dans la journée qu'on me pose les mêmes questions sur la transhumance, c'est compliqué à gérer et il faut s'armer de patience."

 

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 Ici, la transhumance est un patrimoine culturel fort qui a participé à la construction des paysages actuels, inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. © Adrien Majourel - Parc national des Cévennes

 

Les relations entre les patous et les chiens des visiteurs n'ont pas toujours été simples. Principalement lorsqu'ils ne sont pas attachés (c'est une des raisons qui explique l'obligation de les tenir en laisse en coeur de Parc) ou qu'ils approchent le troupeau de trop près.  "Ils ne comprennent pas qu'il faut rester à 50m de distance. Mes patous sont dressés pour intervenir dès qu'ils identifient un danger et l'approche d'un chien en est un."

Ces dernières années, les retours d'expériences comme celui de Raphaël ont conduit le Parc a embaucher des saisonniers pour faciliter la cohabitation pastoralisme-tourisme. Et cet été encore, le respect du travail des bergers était au coeur de la mission de sensibilisation d'Elsa, Pascal et des 5 autres saisonniers déployés sur le territoire.

 

"Elsa et Pascal étaient à l'écoute et se positionnaient régulièrement sur les chemins fréquentés à proximité du troupeau. C'était très utile. Parmi les autres pistes pour faciliter notre travail, il faudrait positionner plus de panneaux sur les patous et le pastoralisme" ajoute Raphaël.

 

Le retour du loup : "nous devons réapprendre à vivre avec lui mais nous avons besoin de plus de soutien".

Cet été, Raphaël a connu une attaque le 8 juillet à Prat Peyrot.  3 brebis ont été blessées et 2 autres tuées. Comme c'est souvent le cas dans ce type de situations, l'affolement créé a dispersé le troupeau et généré beaucoup de stress parmi les survivantes."Pour la première brebis, on a retrouvé que le cadavre. La deuxième était encore en vie mais elle était éventrée et il lui manquait deux gigots. Nous avons dû l'achever. Ce sont des moments très durs. On n'imagine pas ce que l'on ressent lorsqu'on retrouve ses brebis après une attaque."

 

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Raphaël doit régulièrement ausculter ses brebis. La moindre blessure peut très vite s'infecter ou être prise d'assaut par des mouches qui y pondent leurs oeufs. © Adrien Majourel - Parc national des Cévennes

 

"Il nous faut certainement réapprendre à vivre avec le loup. Il est là maintenant et il faut vivre avec mais il est impératif d'adapter les méthodes de garde et de disposer de beaucoup plus de soutien. Le plan loup nous aide mais il est loin d'être suffisant. Aujourd'hui les éleveurs se sentent seuls face au problème. Pour un troupeau comme le mien, il faudrait par exemple au moins 2 bergers et 6 patous. C'est une question de moyens mais les avons-nous ?

Raphaël évoque également les difficultés, pour les "petits élevages extensifs qui ont une approche locale et vertueuse", de rivaliser avec "les élevages industriels qui gardent leur bétail enfermé toute l'année. Dans ce contexte, le retour du loup apporte une difficulté supplémentaire. A l'heure du changement climatique, tout le monde s'accorde à dire que nous devons manger moins de viande et mieux. Pour y parvenir, il est important de mettre en place des politiques soutenant les petits éleveurs et pas seulement sur le sujet du loup."

 

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Lorsqu'une attaque potentielle est signalée sur le territoire du Parc, des agents se rendent au plus vite sur les lieux pour dresser un constat qui est ensuite envoyé à l'OFB pour déterminer si l’attaque est  due à un loup © Adrien Majourel - Parc national des Cévennes

 

Parmi les pistes à explorer, Raphaël cite la prévention, la sensibilisation, la formation et un accompagnement des éleveurs et des bergers plus poussé.

"Une chose est sûre, si le loup s'installe, il y aura besoin de plus en plus de patous et ça risque de devenir ingérable pour les relations avec les visiteurs. Il faudra faire des choix car ce sont nous qui sommes tenus comme responsables si jamais il y a des problèmes."

 

Les meilleurs moments de l'été

Même si cela n'a pas toujours été simple, les yeux de Raphaël s'illuminent lorsque nous lui posons la question des meilleurs moments de l'été.

"Des beaux moments, il y en eu ! Lorsque c'est raisonnable et que les gens sont intéressés et respectueux de notre travail, c'est un plaisir d'échanger et de partager un moment avec eux. C'est aussi enrichissant car c'est l'occasion de découvrir des personnes de tout horizons avec des profils très différents.

J'ai également beaucoup apprécié ceux qui venaient vers moi pour me demander comment ils devaient se comporter, c'est par ce genre d'échanges qu'on arrive à cohabiter et à partager ce magnifique territoire.

Après, les moments de solitude, lorsque les brebis sont tranquilles et que je peux profiter de ce cadre magique, ils resteront gravés en moi."

 

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"Les moments où les brebis sont tranquilles et que je peux profiter de ce cadre magique, resteront gravés en moi." © Adrien Majourel - Parc national des Cévennes

 

 

Les anecdotes amusantes : "elles sont jolies vos chèvres !"

 

Lorsque nous lui demandons s'il a des anecdotes amusantes, Raphaël en cite spontanément plusieurs :

"Un jour un père de famille s'est approché de moi et m'a dit : "elles sont super jolies vos chèvres mais elles ont de drôles de cornes..."

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"Une chèvre avec de drôles de cornes" © Adrien Majourel - Parc national des Cévennes

 

"Une autre fois, un couple de citadins est arrivé avec un chien de race berger australien. Comme il y avait le mot "berger" dans son nom ils se sont dit que c'était l'occasion de voir comment il travaille avec les brebis et ils ont défait la laisse... ! Vous pouvez imaginer que cela n'a pas du tout plu à mes patous, ni à moi d'ailleurs"

"Autre anecdote, une famille m'a demandé s'il y avait le loup par ici. J'ai répondu oui et que d'ailleurs je m'étais fait attaquer une fois. Ils ont ouverts de grands yeux et m'ont dit : ah bon ??? il vous a mordu où ???"

 

Patous : les conseils de Raphaël

 

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Les chiens de troupeaux regroupent les chiens de conduite qui aident le berger à gérer ses animaux et les chiens de protection qui les protègent des prédateurs © Adrien Majourel - Parc national des Cévennes

 

  • Ne jamais chercher à caresser un patou. Ce sont des chiens qui travaillent et qui sont dressés pour cela.
  • Ne pas s'approcher à moins de 50m du troupeau et trouver une solution pour le contourner. Il ne faut pas le traverser au risque de le disperser.
  • Si jamais un patou s'approche de votre chien, ne pas le prendre dans les bras. Il faut laisser l'interaction se faire car sinon c'est vous qui vous mettez en danger.
  • Pas de cris ou de gestes brusques.
  • Les cyclistes doivent descendre lorsqu'ils passent à côté du troupeau.

Pour plus d'informations, n'hésitez pas à regarder la vidéo : "Les bons comportements à adopter avec les chiens de protection des troupeaux".

 

Pour aller plus loin :