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La stratégie scientifique du Parc national

La stratégie scientifique du Parc national 2014-2029 a été validée par le conseil d’administration le 6 novembre dernier. Adossée à la charte, elle porte la double ambition de continuer à acquérir, comprendre et partager la connaissance des patrimoines, et d’anticiper et accompagner les dynamiques sociales et économiques et les grandes mutations environnementales.

  • Pourquoi se doter d’une stratégie scientifique ?
  • Des actions d’acquisition de connaissance dès la création du Parc national
  • Des objectifs à quinze ans
  • Les outils au service de la stratégie scientifique

 

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Inventaire de piques-prunes ou osmodermes, coléoptères saproxyliques sur l'Aigoual

Pourquoi se doter d’une stratégie scientifique ?

Interview de Jacques Varet, président du conseil scientifique du Parc national des Cévennes

«Tous les parcs nationaux français se dotent d’une stratégie scientifique. Le Parc national des Cévennes, avec toutes ses particularités, se devait d’en avoir une. Bien qu’un parc national ne soit pas un organisme de recherche, son action doit s’appuyer sur la connaissance scientifique. C’est en effet un lieu privilégié pour l’observation des milieux naturels et de leur évolution, pour expérimenter des politiques de développement durable et bien mesurer leur efficacité en termes de préservation de la biodiversité et de qualité des habitats. Les Cévennes étant habitées, et qui plus est le lieu d’un patrimoine culturel spécifique et très vivant, notre stratégie scientifique devait s’appuyer sur la connaissance des aspects culturels autant que du patrimoine naturel.

De quoi s’agit-il ? Pas seulement de recueillir des informations de terrain par et pour les agents du Parc et les spécialistes. Pas seulement comprendre en anticipant les changements, notamment ceux qui découlent des perturbations du climat, ou encore les dynamiques économiques et sociales. Il s’agit aussi de porter ces informations à la connaissance des habitants et des différentes catégories d’usagers, sous une forme appropriée.
Rien à voir donc avec une « tour d’ivoire » limitée au cercle des « sachants » et des administrations gestionnaires, mais une opération de partage de connaissances avec l’ensemble de la population (permanente ou de passage) pour que nos choix individuels et collectifs soient les plus appropriés à la mise en œuvre des objectifs retenus et partagés dans la charte. D’ailleurs, l’opération n’est pas à « sens unique » mais impliquera la participation de tous ceux qui voudront bien y contribuer au titre de la « science citoyenne».

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Aigle royal dans le ciel des Grands Causses © Régis Descamps PNC

Des actions d’acquisition de connaissance dès la création du Parc national

Peu après 1970, l’établissement public du Parc national des Cévennes s’est engagé dans l’inventaire de ses patrimoines culturels.

Un inventaire architectural a été mené jusqu’en 1982, avec notamment un recensement exhaustif de tout le bâti de ce l’on appelait alors la « zone centrale ». Cette base a servi, et sert encore aujourd’hui, pour la conservation du patrimoine architectural y compris dans le cadre de l’évolution des modalités techniques de restauration des habitations en cœur de Parc. Les sièges des exploitations agricoles, qui ont dû évoluer avec la construction de bâtiments adaptés aux activités nouvelles, ont eux aussi intégré dans leur projet de modernisation la préservation de l’architecture traditionnelle.

En 2007, l’inventaire archéologique des communes du cœur, mené de 2000 à 2006 en partenariat avec les services de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) du Languedoc Roussillon, a été restitué sous la forme d’un Atlas archéologique du Parc national des Cévennes.

Des travaux d’inventaire du patrimoine naturel ont également été mis en œuvre. Au départ, ils ont souvent été conduits dans le cadre d’études scientifiques pluridisciplinaires. Ainsi, tous les massifs du Parc national ont fait l’objet de programmes de recherche permettant d’identifier et de comprendre les relations entre les évolutions socio-économiques et les évolutions écologiques des territoires. Cette démarche a été confortée par la désignation du territoire comme réserve de biosphère par l’Unesco en 1985. Progressivement, et sous l’impulsion du conseil d’administration, dès le premier programme d’aménagement « 1976-1981 », des études plus ciblées ont été menées notamment au titre de projets de réintroduction d’espèces animales disparues ou très rares (castor d’Europe, grand tétras, vautour fauve…). Des études ont ensuite porté essentiellement sur des espèces animales et végétales natives des Cévennes et des Causses : aigle royal, hibou grand duc ou encore écrevisse à pieds blancs.

Au début des années 2000, après avoir réalisé en 1995 et 1997 respectivement les catalogues de la faune (2 410 espèces identifiées) et de la flore (2 217 espèces inventoriées), l’établissement public du Parc en lien avec le territoire et à la demande de son conseil d’administration a orienté les inventaires en priorité sur la biodiversité des milieux ouverts. En effet, ceux-ci ont sensiblement diminué et sont passés de 53 % de la surface du cœur en 1970 à seulement 38 % en 2000.

Plus de 40 années d’études et d’inventaires éclairant les relations homme–nature sont ainsi disponibles au Centre de documentation et d’archives du Parc national situé à Génolhac. La mise en œuvre de la charte renouvelle la priorité à porter sur les patrimoines et le partage de leur connaissance.

Des objectifs à quinze ans

Les enjeux des années à venir pour le territoire sont importants : changements climatiques, évolutions socio-économiques, modification des paysages liée notamment à la fermeture des milieux, raréfaction de la ressource en eau… L’établissement public du Parc devra donc gérer un environnement en profonde mutation.

Quatre questions sont identifiées comme prioritaires :

Quels éléments constituent le patrimoine du Parc national et quelles sont les priorités de conservation ?
Quelles activités sont pratiquées sur le territoire ? Comment évoluent-elles, pourquoi ? Quelles sont celles qui favorisent ou au contraire menacent ce patrimoine ?
Quels sont les « services rendus » par le patrimoine à l’homme ?
Quelles actions privilégier pour mieux accompagner ces activités et préserver les « services rendus » ?

Des choix sont à opérer, et en cela, la stratégie scientifique du Parc national fixe des orientations et des priorités opérationnelles en lien avec les huit axes de la charte. Des résultats sont attendus en conséquence.

L’acquisition des connaissances sur la biodiversité portera sur des espèces qui font l’objet de démarches nationales, dans le cadre les plans nationaux d’action (gypaète barbu, chouette chevêche, lézard ocellé, chauves-souris, pour n’en citer que quelques-unes). Des espèces ou groupes d’espèces indicatrices de certains fonctionnements ou changements feront également l’objet d’études (papillons de jour, oiseaux des milieux ouverts et forestiers, rapaces, insectes indicateurs de vieilles forêts…).

Les paysages de l’agro-pastoralisme, élément identitaire majeur du territoire qui a valu son inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, et les patrimoines bâti et immatériel (savoir-faire) associés feront l’objet de suivis.

L’eau et les milieux aquatiques, richesses reconnues du territoire, restent des thèmes prioritaires. L’amélioration des connaissances des fonctionnements hydrologiques des milieux caussenards et cévenols et leur partage dans le cadre d’un observatoire structureront l’engagement du Parc national et de ses partenaires

L’accent sera mis sur le développement de la connaissance des composantes humaines du Parc national. Les suivis seront renforcés dans les principaux domaines socio-économiques – agriculture et agropastoralisme, tourisme, filière forestière-, y compris dans le cadre de programmes de recherche, afin de mieux analyser et restituer les évolutions sociétales majeures.

La mise en œuvre de ces priorités requerra une validation scientifique des travaux, le développement des partenariats, le développement des sciences participatives et une meilleure communication et valorisation des résultats (lire l’article d’actualité Valoriser la connaissance pour mieux la partager - page 5 du n° 39 du magazine De serres en Valats ).

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Les zones humides continueront de faire l'objet de suivis en cohérence avec le PNA en faveur de cet habitat naturel prioritaire (2014-2018) © Olivier Prohin PNC

Les outils au service de la stratégie scientifique

C’est dans le cœur du Parc national que les enjeux de connaissance sont les plus forts. Des inventaires y seront donc poursuivis ou actualisés.
Pour ce qui relève du patrimoine naturel, des groupes d'espèces animales et végétales prioritaires ont été identifiées et choisies pour être inventoriées :

  • Plantes à fleurs et fougères
  • Reptiles et amphibiens, poissons et écrevisses, oiseaux, mammifères
  • Papillons de jour
  • Libellules
  • Crickets, sauterelles et grillons
  • Insectes inféodés au bois mort ou aux déjections animales

Par ailleurs, parmi les milliers d'espèces connues, quelques dizaines feront l'objet d'un suivi, soit parce qu'elles représentent une forte responsabilité locale comparativement au niveau national, soit parce qu'elles constituent un enjeu de protection et de gestion, soit parce qu'elles sont indicatrices d'évolutions.

La cartographie des habitats naturels et de la physionomie de la végétation du coeur sera poursuivie et actualisée. Ces outils serviront une meilleure compréhension de la dynamique de fermeture des milieux et de l'évolution des paysages.

Les milieux souterrains du Parc national sont remarquables et font de ce territoire un haut lieu de la spéléologie. Ils abritent des patrimoines variés mais fragiles. Un premier inventaire des sites d'intérêt majeur et des richesses qu'ils recèlent contribuera à élaborer une stratégie de conservation et de gestion des grottes et des cavités.

Des priorités sont également fixées pour la connaissance du patrimoine culturel matériel et immatériel. Un inventaire archéologique complet doit être finalisé. Aujourd'hui, le Parc dispose de celui des communes du coeur et de quelques communes de l'aire d'adhésion. Ce travail sera poursuivi.

Les inventaires du patrimoine bâti lié à l'agropastoralisme, et des métiers et savoir-faire en lien avec cette pratique emblématique du territoire seront réalisés en étroite collaboration avec l'Entente interdépartementale des Causses et des Cévennes.

Des études et des programmes de recherche vont également être lancés pour comprendre processus et interactions : il s'agira, par exemple, de mieux connaître les pratiques de brûlage dirigé et leurs conséquences, ou l'utilisation des produits vétérinaires et phytosanitaires et les alternatives possibles. Ce type de travail sera mené en partenariat avec des organismes de recherche (CNRS, INRA...). Les domaines recouvrant les dynamiques forestières, les fonctionnements hydrologiques et hydrogéologiques, les services rendus par la nature à l'homme, l'histoire et ses conséquences actuelles, les interactions agriclture et biodiversité seront ciblés.

Les sciences participatives seront développées : en aire d'adhésion, elles constitueront un bon moyen pour connaître les patrimoines, en partager la connaissance et mieux les préserver.

Afin de mettre en œuvre durant la période 2014-2029, cette stratégie ambitieuse, l’ensemble des services du Parc national  sera mobilisé. Le développement de partenariats est un point central, gage de l’atteinte des objectifs, que ce soit avec les collectivités territoriales, les associations, les chercheurs, le grand public, l’Etat, les divers réseaux (parcs nationaux de France, parcs naturels du Massif Central, entente Unesco, réseau des réserves de biosphère…). A cet égard, le conseil scientifique du Parc national sera particulièrement mobilisé.

Source : Magazine De serres en valats n° 39 - Février 2015