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Enquête : quelles menaces pèsent sur le Crave à bec rouge dans le Parc national des Cévennes ?

Faune
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© Régis Descamps - Parc national des Cévennes
Le Crave à bec rouge appartient à une famille que nous connaissons tous : celle des corvidés qui regroupe à l’échelle mondiale 25 genres et 130 espèces de corbeaux, corneilles, pies, témias et geais.

Pour le reconnaître, rien de plus simple : son beau plumage bleu-noir avec des reflets verts sur les ailes, son long bec rouge recourbé et ses pattes rouges le distinguent de ses congénères. Si cela ne suffit pas, tendez l’oreille, son chant est sonore et très puissant. Acrobate dans les airs, il fait partie de ces oiseaux fidèles qui choisissent un partenaire pour la vie.

En France, le Crave est présent sur les côtes rocheuses bretonnes, dans les Alpes et les Pyrénées et uniquement dans le sud du Massif Central notamment dans la région des Grands Causses (Causses Méjean, Sauveterre et Noir) où il niche dans les falaises ou les avens.

Dans le Parc national des Cévennes, il niche principalement en petite colonie dans les Gorges du Tarn et de la Jonte, avec quelques couples isolés dans les avens des Causses. A partir de l'automne, il est possible d'observer des groupes de plus de 200 oiseaux comme cela a par exemple été le cas sur la commune de Meyrueis en 2016.

Les premiers dénombrements réalisés durant les hivers 2018 et 2019 montrent l’enjeu de conserver cette population dans les Grands Causses compte tenu de son importance (on estime qu’ils sont plus de 1250 individus) par rapport aux effectifs estimés en France (Seulement 2000 à 3000 couples)

Un enjeu d’autant plus important que le Crave à bec rouge a connu une forte réduction au cours des deux derniers siècles. Il a notamment disparu d’Autriche, de l’Est de l’Irlande, de nombreuses localités du littoral Anglo-Normand, mais aussi plus au Sud, de plusieurs localités du Portugal et d’Italie.

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Craves à bec rouge sur le Causse Méjean © Régis Descamps - Parc national des Cévennes

C’est pour éviter qu’il ne connaisse le même sort dans le sud du Massif central que le Parc national des Cévennes et une équipe de chercheurs du Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive ont chargé Antoine Herrera, étudiant en Master à  l’EPHE (Ecole Pratique des Hautes Etudes) de Montpellier de mener l’enquête* :

Quelles menaces pèsent ici sur ce corvidé emblématique ?

 

Antoine disposait de quelques indices déjà connus de la communauté scientifique qu’il fallait vérifier localement :

1 - Le Crave s’alimente sur les milieux ouverts, principalement les pelouses d’altitude ou côtières entretenues généralement par du pâturage extensif d’animaux domestiques.
2 - Pour nicher, le Crave a besoin de cavités profondes et irrégulières.
3 - En période de reproduction il est principalement insectivore. Il chasse à vue en marchant et fouillant le sol avec son bec à la recherche de proies telles que des coléoptères, larves diverses, vers de terre, chenilles ou fourmis.
4 - Les coléoptères « coprophages » (attirés par les déjections des animaux domestiques), constituent pour lui une ressource alimentaire supplémentaire.
5 - Les principales études axées sur la sélection des habitats d’alimentation en Espagne, au Pays de Galles et sur les côtes bretonnes ont toutes montré une sélection forte des Craves pour les pelouses pâturées, avec une végétation basse.
6 - La majorité des lieux où il s’alimente se situent en général à moins de 500 m de son nid.

 

Fort de ces premiers indices, Antoine s’est donné pour mission de comprendre ce qui pouvait en être déduit et confirmé dans la région des Grands Causses.

Après 6 mois d’enquête et d’observation, Antoine a montré que dans cette région également, le Crave à bec rouge sélectionne des sites d’alimentation où les pelouses sont vastes et disposent d’une végétation clairsemée. En effet, ils affectionnent des zones d’herbes rases (< 5 cm de hauteur) avec une forte proportion de sol nu et contenant souvent des crottes de bétail. Les prairies temporaires de fauche sont aussi fréquemment utilisées comme sites d'alimentation.

Ces résultats lui ont permis de conclure que l’abandon progressif de l’agriculture et de l’élevage couplé à une intensification des pratiques agricoles constituaient deux menaces à moyen terme pour la population de Craves du sud du Massif central.

Une étude d’importance puisqu’elle valide les rares observations qui avaient pu être faites en Angleterre ou en Espagne. Elle permet également de montrer que sur les Causses, les changements d’usages des terres, soit par transformation des terres pastorales en terres cultivées, soit par abandon ou réduction des activités pastorales ont un impact direct sur le nombre de Craves à bec rouge observés.

 

Les Grands Causses, une région où les paysages ont changé.

Les Grands Causses, dont une partie est intégrée dans le périmètre du Parc national des Cévennes, sont caractérisés par de vastes pelouses à caractère steppique.

Ils représentent un enjeu majeur en termes de conservation de la biodiversité et ont été inscrits par l’Unesco en 2011 au patrimoine mondial de l’humanité au titre des paysages culturels de l’agro-pastoralisme méditerranéen.

 

Les activités pastorales y ont reculé pour laisser la place aux terres cultivables. Ce changement, très marqué depuis le début du XXème siècle, s’est même accéléré ces dernières décennies et a favorisé une densification de la strate herbacée et une dynamique de recolonisation des ligneux (arbres, arbustes et arbrisseaux) avec un important impact pour la faune et la flore sauvages.

Le crave à bec rouge, un oiseau de légende

Accusé jusqu'au XVIIIe siècle de pyromanie (il était censé apporter en secret des brindilles enflammées ou des charbons ardents pour mettre le feu aux maisons - une légende certainement inspirée par son bec rouge), une autre histoire venue de Cornouailles raconte que l’âme du Roi Arthur aurait pénétré le corps d'un Crave. Son bec et ses pattes rouges proviendraient du sang de sa dernière bataille… tuer cet oiseau porterait donc malheur !

Un oiseau quoi qu’il en soit inspirant et réputé pour sa grande intelligence !

 

* L’étude menée par Antoine Herrera dans le cadre de son stage a bénéficié d'un financement de la DREAL Occitanie dans le cadre d'un projet porté par plusieurs associations naturalistes, la fédération des chasseurs de la Lozère, le PNR des Grands Causses, le Conservatoire des Espaces Naturels LR et les animateurs des sites Natura 2000.

 

Si vous souhaitez en savoir plus sur cette enquête (largement vulgarisée dans cet article), ne manquez pas l’article beaucoup plus complet paru dans la revue d'ornithologie Alauda, intitulé "Sélection multi-échelle des habitats d'alimentation du Crave à bec rouge Pyrrhocorax pyrrhocorax dans le sud du Massif Central".

Un numéro dans lequel le crave à bec rouge a même fait la une !